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L’autisme n’est pas un crime

Dans ce texte intime et révolté, Jérôme F. nous raconte le quotidien de sa fille autiste face à un monde hostile et violent envers les personnes mises en situation de handicap.

Ma colère est devenue quelqu’un. Quelqu’un qui prend de plus en plus de place. Quelqu’un qui ne me quitte plus. On évoque souvent les bienfaits de l’écriture comme exutoire ou thérapie. Raconter notre parcours n’est que souffrance et colère. Raconter notre parcours, c’est revivre toutes ces injustices qui émaillent la vie de notre fille. C’est affronter le cynisme, la brutalité et l’inhumanité de ce monde. C’est regarder dans le rétro et constater ses erreurs, se dire qu’on n’a pas fait les choses comme il faut. C’est vivre avec cette putain de culpabilité ancrée en moi à jamais. Alors pourquoi écrire ? J’écris pour témoigner de mon amour pour ma fille, lui dire toute mon admiration devant le courage dont elle fait preuve pour affronter tous les obstacles qui se dressent devant elle. Quand je la regarde, ma colère se dissipe et lâche son étreinte qui me broie de plus en plus. Elle me donne des leçons d’humanité et, souvent, ça fait mal de réaliser à quel point on peut être con·ne. Ma fille ne crée aucune barrière entre les gens, elle ne fait que les enlever. Enlever toutes celles qui lui barrent le chemin et que chacun·e empile avec force et conviction.

Je suis papa d’une enfant autiste. Une enfant qui n’a pas les mêmes droits que les autres. Une enfant confrontée à l’ignorance et à la discrimination. Une enfant qui chaque jour, chaque minute, chaque seconde doit se battre contre la connerie humaine. Notre histoire est celle de milliers d’enfants et de familles qui affrontent seules une discrimination institutionnalisée. Je suis un papa en colère qui ne baissera jamais les bras. Je suis aussi un papa qui n’a pas oublié de faire plein de conneries pour se marrer, parce que c’est comme ça que je résiste.

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Je ne sais pas pourquoi je pense à ce jour… Ce jour où ma fille a enfin pu se rendre à une activité sportive et collective. Avant ce fameux jour, elle avait été virée de la danse et de l’école de cirque parce qu’autiste. Nous sommes en septembre 2020. Ma fille, une ado de 15 ans, trépigne à l’entrée de la salle. Je suis partagé entre un immense bonheur et une forme d’inquiétude. Nous n’avons pas l’habitude de « fréquenter » d’autres personnes. Un repli sur soi non voulu mais qui s’imprime inconsciemment dans nos esprits. Ma fille s’apprête à assister à son premier cours de Zumba pour ado/adulte. Elle est motivée et nullement impressionnée par les personnes qui s’agglutinent devant la salle. La prof se présente rapidement et demande aux quelques accompagnant·es de bien vouloir rester à l’extérieur. Ça gueule dans la salle. La musique est très forte et je me demande à quoi ça sert de gueuler comme ça… Je me dis que ça doit faire partie du folklore zumbesque. Discrètement je rentre dans la salle. Ma fille est tout devant, elle est à fond. Les larmes me montent rapidement et, en l’espace de quelques secondes, ce sont des torrents de larmes qui inondent mes joues. Des larmes de joie de voir ma fille faire une activité comme tout le monde et avec tout le monde. Elle s’éclate et le regard des autres n’existe plus. Je suis bouleversé et tellement heureux. À la fin du cours, je cherche à communiquer avec la prof pour récupérer les documents d’inscription. Elle m’évite et me fuit du regard. Après 20 minutes d’attente, nous ne sommes plus que tous les trois. Elle m’annonce qu’elle ne veut pas de ma fille. Elle ne suit pas bien la chorégraphie. Elle me conseille de l’inscrire chez les tout·es petit·es, les 3-6 ans. Je suis comme paralysé. Moi qui n’ai vraiment pas ma langue dans la poche, je suis comme abasourdi, aucun mot ne sort de ma bouche. Qu’est-ce que ça peut faire qu’elle suive ou pas la choré ? Elle s’éclate et ne gêne personne. Et pourquoi avoir attendu que tout le monde soit parti pour nous l’annoncer ? Elle n’assume rien, et encore moins son attitude lamentable. Je regarde ma fille qui a tout compris. Je l’embrasse très fort et lui promets de trouver un lieu où elle pourra danser la Zumba. Nous quittons la salle, mes jambes flageolent et c’est ma fille qui me remonte le moral. Son sourire m’apaise, mais ma colère me rend de plus en plus triste. Elle me change, me façonne pour devenir quelqu’un qui ne peut plus dissimuler son côté sombre. * Notre vie se résume à un combat pour notre dignité. Une personne à la boulangerie qui s’impatiente parce que ma fille met trop de temps à demander ce qu’elle veut, un·e professionnel·le de santé qui va s’énerver parce qu’elle n’est pas coopérative immédiatement (pendant des années nous faisions plus de 200 km aller-retour pour trouver un dentiste qui acceptait de prendre le temps pour lui soigner les dents), un centre de loisirs qui refuse une inscription, des associations sportives qui te font comprendre clairement que ta fille n’est pas la bienvenue, une école qui nous demande d’aller voir ailleurs… Je ne perds plus mon temps à expliquer ou justifier quoi que ce soit. Se justifier de quoi d’ailleurs ? Face à toutes ces situations, ma fille reste toujours calme. Elle subit, en silence. De mon côté, je suis en mode baston 24 heures sur 24. Je ne laisse plus rien passer. Ma vie se résume à un conflit permanent. Je n’arrive plus à faire la distinction entre une discussion normale et la bastonnade verbale. Je m’emporte vite. Je considère chaque violation de droit comme un nouveau coup de couteau que je ne cherche même plus à esquiver. S’il y a bien un truc que j’ai assimilé, c’est de ne pas chercher à esquiver les violences institutionnelles. J’encaisse tout (très mal, faut bien l’avouer) mais je réponds systématiquement. Nous avons à notre disposition des outils juridiques pour nous défendre. Parfois il « suffit » d’utiliser les mêmes « armes » que celles et ceux qui nous méprisent, comme la presse écrite par exemple. Nous avons obtenu (après 5 ans de combat) le droit d’inscrire notre fille au centre de loisirs grâce à un article d’un journaliste que j’avais contacté. Le lendemain de sa parution, je recevais un coup de téléphone m’assurant que l’inscription était désormais possible… sans un petit mot d’excuse. Ne jamais baisser les bras. Jamais. Je suis foutu si je les baisse ne serait-ce qu’à moitié. C’est le combat de ma vie.

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La société ne laisse pas de place à la différence. Elle stigmatise et met à l’écart toutes celles et ceux qu’elle considère comme des improductif·ves (ce mot est horrible).

Elle joue au bon samaritain en faisant croire qu’elle prend en charge le handicap (mais qui leur a demandé cette prise en charge ? Et qui fait en sorte qu’aucune autre alternative ne soit vraiment possible ?) à coup d’allocations ridicules mais en réalité, elle ne fait qu’isoler encore plus, rendant les personnes dépendantes et invisibles. Demandez aux personnes mises en situation de handicap si elles sont heureuses comme ça. Ça vous donnera l’occasion de vous défaire de votre paresse intellectuelle. L’accès au travail est très compliqué pour tout le monde, mais pour les personnes mises en situation de handicap c’est encore pire. L’État incite même les embauches en menaçant les entreprises de sanctions financières. C’est extrêmement humiliant, comme si le fait d’embaucher une personne handicapée était comme se tirer une balle dans le pied. Voilà comment est appréhendée la singularité : stigmatisation, humiliation et destruction sociale.

Tant qu’on n’a pas la gueule dedans, on ne peut pas comprendre tout ça. On ne veut pas le comprendre parce qu’on s’en fout. C’est lorsqu’on est confronté·e à la question du handicap, de la différence via un·e proche ou un·e ami·e qu’on saisit cette réalité que nous acceptons toutes et tous. Je ne veux pas que ma fille subisse tout ça… Elle en subit déjà de trop. On n’aurait jamais imaginé devoir se battre pour la scolarisation, l’éducation, l’accès au centre de loisirs, le respect, l’accès à la santé, les droits les plus fondamentaux… Cette société est violente, intolérante, injuste et inégalitaire. Je sais que rien ne changera mais je ferai tout pour que cette société – que nous n’avons pas choisie – ne nous bousille pas aussi vite qu’elle ne l’espère. Je n’ai jamais considéré l’autisme comme un problème ou une maladie. Combien d’assos demandent des tunes pour vaincre cette soi-disant maladie ? Ma fille n’est pas malade, les autistes vont bien merci pour elles et eux. La question est plus du côté des neurotypiques, persuadé·es que l’autisme est une maladie, une tare. Leur étroitesse d’esprit n’est-elle pas pour le coup une maladie de l’esprit ? Un dernier petit truc : Les autistes ne sont pas perché·es ou dans leur bulle. Ils et elles ne vivent pas dans « leur » monde, mais dans le nôtre. Dans ce monde de merde que nous façonnons chaque jour à leur rendre encore plus invivable.

Par Jérôme F. CQFD de février 2024

Pour ce numéro, nous vous proposons un documentaire que nous avions présenté lors de nos soirées « diplo-docus » :

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