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Henri Guillemin ou… l’envers de l’histoire contemporaine

Pourquoi Henri Guillemin ?

Avec Henri Guillemin, nous entamons un nouveau chapitre, transversal celui-là, plus que jamais passionnant, toujours dans la lignée de nos activités et surtout en lien avec les Diplo-docus.
Henri Guillemin n’est pas seulement l’homme de lettres grand connaisseur de Lamartine, de Jean-Jacques Rousseau, de Tolstoï et de tant d’autres écrivains, apportant sur chacun des angles de vue inattendus.
Il fut également, titre qui lui a été parfois contesté, un historien spécialiste du XIXème siècle, minutieux, grand chercheur et dénicheur de vérités ; à ce titre, trop peu connu, trop peu cité en France aujourd’hui encore. Et pourtant...
Henri Guillemin (1903-1992) est l’auteur français d’une soixantaine d’ouvrages écrits, dont certains très controversés (1). Il fut aussi un de ces orateurs talentueux, conférencier captivant son auditoire durant quelques décennies, répondant aux invitations en Belgique, en France, et bien sûr en Suisse, Suisse qui l’avait accueilli en 1942 et où, grâce à la Radio Télévision Suisse (RTS), il fit l’enregistrement de magistrales émissions filmées alors que la télévision française n’en voulait pas.
De ce personnage original, on retiendra également que cet homme de gauche fut chrétien, catholique pratiquant, ce qui ne l’empêcha pas d’adopter une position critique envers l’institution ecclésiastique. Position qui fut également controversée.

(1) Cf. "Henri Guillemin - Tel quel", Patrick Berthier, Éd. Utovie, 2017.

Mais encore... avec les Diplo-docus, pourquoi tirer ce nouveau fil ?

Les Diplo-docus sont l’intitulé d’événements créés, au titre de correspondants des Amis du Monde diplomatique, en vue de soutenir les idées portées par Le Monde diplomatique, journal mensuel d’informations tourné vers l’actualité internationale et distribué dans une trentaine de pays. C’est l’indépendance de la presse que nous voulons défendre, et la liberté de parole et d’analyse qui en découle logiquement, ce qui fait du Monde diplo un journal irremplaçable.
Or entre histoire et actualité, il y a une continuité, un fil bien réel dont il peut être passionnant de suivre le déroulement, la logique de causes à effets. Mais il y a une difficulté, c’est que dans le temps, ce fil le long duquel se déplie l’histoire finit par se diluer, processus d’usure naturelle auquel sont soumis les objets et les êtres mais également les événements : d’une génération à l’autre, le temps accomplit son œuvre et engendre l’oubli. À cela s’ajoute le fait que certains événements de l’histoire sont occultés volontairement, travestis parfois. Les historiens, les livres d’histoire écrits par eux et destinés aux élèves, participent à ce jeu d’opacité. Il semble qu’il y a à cela diverses raisons qu’il est justement intéressant de sonder. Et pourquoi donc ?
Pour une raison essentielle qu’Henri Guillemin ne cesse de nous rappeler :

« Les événements du passé ont une implication dans le présent ».

Or bon nombre d’entre nous aujourd’hui se sentent piégés par la complexité du monde. Et tout en étant attentifs à accorder nos comportements et nos idéaux pour vivre en harmonie avec les autres (y compris dans notre environnement), ce présent, vécu maintenant, là, en 2018, peut paraître incompréhensible, absurde et insaisissable ; donc source de mal-être.
Mais tâchons de voir s’il n’y aurait pas une légitimité à ce malaise. Le début de l’éditorial du Diplo écrit par Serge Halimi dans le numéro de mars 2018 peut nous y aider :

« Un ancien ministre de l’économie socialiste qui, plus tard, créera un parti libéral à son image a un jour détaillé l’art et la manière d’enfanter une société de marché : « N’essayez pas d’avancer pas à pas. Définissez clairement vos objectifs et approchez-vous en par bonds en avant qualitatifs afin que les intérêts catégoriels n’aient pas le temps de se mobiliser et de vous embourber. La vitesse est essentielle, vous n’irez jamais trop vite. Une fois que l’application du programme des réformes commence, ne vous arrêtez plus avant qu’il soit terminé : le feu de vos adversaires perd en précision quand il doit viser une cible qui bouge sans arrêt. » M. Emmanuel Macron ? Non, M. Roger Douglas, en novembre 1989, en Nouvelle-Zélande. Il livrait alors les recettes de la contre-révolution libérale que son pays venait d’expérimenter (2).
Près de trente ans plus tard, le président français reprend toutes les vieilles ficelles de « cette stratégie du choc ». »

Par conséquent, pour sortir de nos contradictions individuelles et collectives dues à ce contexte miné, « On s’arrête et on réfléchit » s’impose comme la posture minimale obligée. Donc on s’arrête, pour trouver des lieux, associations, médias ou autres… afin de savoir comment acquérir une expertise « ès vieilles ficelles », comment remettre ces choses-qui-bougent-sans-arrêt à leur juste place, et comment viser juste par une posture distanciée du vacarme médiatique dont le résultat (délibéré ou pas) nous masque la recette libérale façon Douglas.

(2) Cf. Le Grand Bond en arrière. Comment l’ordre libéral s’est imposé au monde, Agone, Marseille, 2012 (1ère éd. : 2004).

Notre objectif est donc clairement didactique  

Henri Guillemin, grâce à son talent de narrateur manifeste, nous paraît être un vecteur simple et efficace entre histoire et actualité.
Nous voulons mettre en lumière sa méthodologie dans le but d’éclairer le présent à la lumière du passé : quels sont les mécanismes redondants, les similitudes ? Est-il possible de repérer au cours de l’histoire une logique sous-jacente toujours à l’œuvre, ce qu’il appelait « le dessous des cartes » ? Un des buts personnels de cet universitaire était de s’adresser au grand nombre et d’être compris du grand nombre : « Cela, je veux que vous l’entendiez ». Par bonheur, le don pédagogique ne lui faisait pas défaut.
Nous entendons, nous, prolonger son travail : tirer quelques éléments simples de ses analyses et en constituer une trame. Puis tout en usant de souplesse, superposer cette trame sur le chaos apparent des événements de l’actualité et se demander si elle joue son rôle de révélateur.
Peut-être pouvons-nous commencer par le libéralisme...