Discussion au sommet : le G20 du Chien rouge
20 ans, nom d’un chien
Vingt ans que ça dure… C’est pas rien, et on mentirait en disant qu’on n’en est pas fiers. Mais comment traiter ça ? Après moult grattages de tête, on s’est dit qu’on allait faire une grande bouffe entre anciens et nouveaux. Fine idée. Ça s’est fini en nouba, à guincher sur de vieux tubes honteux au beau milieu du local. Entre-temps, heureusement, il y a eu des discussions. Et un enregistreur posé au milieu de la table, pour que la postérité n’en perde pas une miette.
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« LE TRAVAIL C’EST DE LA CONNERIE »
[La discussion est lancée par le camarade Vé, casquette rouge et bagout de rigueur. Il a tout connu du canard puisqu’il était là au tout début. Il est encore en charge de l’aspect administratif du journal – si tu t’abonnes, c’est lui qui gère. Se greffent à la discussion Bruno et Matéo, qui ont déboulé dès 2004-2005 et continuent à participer occasionnellement à CQFD.]
Le Vé : « Au commencement était le bulletin du RIRe, un réseau antimilitariste lancé en 1994, en perte de vitesse au début des années 2000. Il faut dire que depuis la suppression du service militaire obligatoire, entrée en vigueur en 2001, ces questions n’intéressaient plus grand monde. En réponse, on a essayé d’élargir la problématique, en transformant le bulletin en revue, en parlant de ventes d’armes, des salons Eurosatory ou Milipol et des populations fuyant les guerres. Ça n’a pas été une révolution niveau lectorat, la revue n’ayant que quelques centaines d’abonnés, mais ça a poussé des gens à se rapprocher de nous pour donner des coups de main. Au fil des discussions avec ces forces vives nous est venue l’idée de faire un journal plus généraliste, qui a fini par être lancé en mai 2003. Marie-Agnès, dite Marie Nennès, a proposé le titre Bonobo. C’est Charles qui a suggéré CQFD, en référence à l’hebdomadaire antimilitariste et pacifiste libertaire Ce qu’il faut dire, publié en 1916 et 1917, titre qui a finalement été retenu par élimination. »
Bruno : « J’ai parfois entendu parler d’un trésor de guerre, d’une sorte de cagnotte secrète pour lancer le journal. Je n’ai jamais su si c’était une légende urbaine… »
Le Vé : « Non, rien de secret. Simplement, on avait un peu de fric grâce aux abonnés à la revue et au fait qu’on était connus dans les milieux libertaires. Et puis au RIRe, on était tous bénévoles, à part un emploi jeune embauché à la fin pour préparer le passage à CQFD. Bref. On s’est laissé un peu de temps avant le premier numéro. Parmi les conjurés, il y avait Olivier qui venait de claquer la porte de Charlie Hebdo et a déménagé à Marseille pour le projet – notre second employé et secrétaire de rédaction (SR). Ou encore Marie-Agnès qui bossait à France 3.
On s’est posé la question de faire un hebdomadaire, mais ça nous a semblé trop ambitieux. Une sage décision, parce qu’en vrai tout ça s’est fait de manière un peu naïve. Par exemple, on était parti dans l’idée qu’au bout d’un moment tout le monde soit salarié. Les premières projections ont vite montré que ça ne tenait pas la route… Donc on a opté pour un mensuel qui serait indépendant, alternatif et satirique, sur le modèle formel de Charlie Hebdo, notamment dans le style de l’écriture et du dessin. Notre approche, c’était une critique sociale qui tape un peu sur tout le monde, avec un pan très marseillais.
Le premier local était celui du RIRe : un appart’ qu’on avait récupéré à la fin des années 1990 entre la porte d’Aix et la Joliette [le quartier du port de commerce, au nord du centre-ville] pour une bouchée de pain. On avait eu quelques loyers gratuits en échange de travaux… qu’on n’a jamais faits. En 2004, on a déménagé dans le local actuel [dans le quartier des Réformés, au centre] qui, peu avant, avait été occupé par des marxistes-léninistes pro-Mao, Cartel 21. J’y avais assisté à des débats du type : “les relations entre Staline et les anarchistes”. Oh putain ! Heureusement, ils avaient emporté les portraits de Staline avec eux… »
Matéo : « Quand j’ai commencé à m’impliquer davantage, fin 2005, il y avait déjà une grande diversité, des gens aux profils variés, venus avec des sujets de prédilection divers. Par exemple, des militants de la Cimade qui travaillaient sur le droit des étrangers ; Fred, un ancien objecteur de conscience qui tenait la chronique Hétéros-fachos ; des gens qui bossaient au Plan B et dans la critique des médias, comme Marc Pantanella ; Jean-Marc Rouillan qui écrivait des chroniques carcérales depuis la centrale de Lannemezan… Et puis, derrière le noyau marseillais et militant, il y avait des compagnonnages, par exemple avec le cinéaste Pierre Carles. »
Le Vé : « Carles, il m’a filmé dans son documentaire Attention danger travail, où j’intervenais pour dire en gros que le travail c’est de la connerie. À chaque fois qu’il était diffusé, les gens se foutaient de ma gueule, dur… Mais c’est vrai qu’on était tous chômeurs, au début. Perso, je militais à AC ! (Agir ensemble contre le chômage) 13. Et beaucoup de groupes AC ! de France étaient abonnés à CQFD. » ...
Propos retranscrits et mis en forme par Émilien Bernard et Laurent Perez et parus dans CQFD de mai 2023