Le prix libre

Commençons par le début : que signifie le mot prix ? Le prix désigne une valeur monétaire possible d’une chose qui se concrétise par l’accord d’un acheteur. Le prix libre bouleverse
cette définition : il crée une relation sans vendeur, ni acheteur ; une relation à égalité, où chacun reconnaît la nécessité d’un engagement financier dans l’échange qui se tisse.
En reliant deux êtres, le prix libre élève cette relation en offrant une liberté là où habituellement l’échange est contraint par un prix fixe. Le prix libre n’est ni un don, ni un achat. Il est une nouvelle forme d’échange qui percute la relation commerciale, pour la fissurer, et révéler cette liberté dans la contrainte : la liberté pour celui qui accueille l’échange d’en définir sa contribution, la liberté pour celui qui propose, de s’exprimer sur le sens de cet échange. Le prix libre humanise la relation quand le prix fixe la mécanise.
Soyons clair : le prix fixe a sa raison d’être dans nos sociétés. Le fait est que figer la valeur d’une chose formate les relations humaines par le système commercial qui en émerge. Dans le prix libre, la valeur n’existe pas : on navigue dans une tout autre dimension, où l’on parlera plutôt de contribution et de responsabilité de toutes les parties à la bonne marche de l’échange. Le prix libre est en effet créateur de situations éducatives : celui qui cherche à tirer profit de l’échange pour lui-même est renvoyé à sa propre nature, par le miroir de la relation dissonante qu’il induit.
Le prix libre est donc avant tout un acte d’échange bienveillant, où l’on prend le temps de se comprendre mutuellement, où celui qui contribue le fait en âme et conscience du sens de cet échange, et où celui qui propose le fait inspiré par la solidarité et la confiance en la vertu du dialogue. Le prix libre est cette brèche inattendue, qui nous redonne à vivre
responsabilité, solidarité et intelligence de l’échange.

Pratiquer le prix libre

L’habitude des relations commerciales rend parfois difficile la pratique du prix libre par les confusions qu’elle induit : voici cinq pratiques que nous considérons hors du champ du prix libre :

1. Proposer un prix
Proposer un prix ne laisse pas libre le contributeur de proposer le sien : l’orienter vers ma propre volonté impose une tension entre sa contribution et la contribution attendue, et le
culpabilise s’il n’est pas à la hauteur de mes espérances.

2. Mélanger prix fixe et prix libre
Une buvette à prix fixe et une entrée à prix libre brouille le message de l’événement. Les contributeurs viennent souvent avec un budget à dépenser, qu’ils distillent tout au long de
l’événement. L’échange d’argent est source de discussion et de partage.

3. Accepter n’importe quel prix sans broncher
Une poignée de centimes échangés quand le contributeur exploite manifestement la situation fait nécessairement naître un ressenti : il nous appartient de l’exprimer clairement, et d’en faire la graine d’un dialogue constructif.

4. Ne pas communiquer sur le prix libre
Annoncer prix libre sans expliquer ni raconter le sens de l’échange est une forme d’indifférence. Autant mettre prix fixe.

5. Insécuriser le contributeur
Le contributeur se sent parfois démuni face au prix libre. La bienveillance invite à rassurer le contributeur, sans pour autant lui proposer un prix, en lui expliquant la nature solidaire de l’échange : il n’achète pas, il contribue.

Une petite anecdote pour finir : j’ai compris d’un coup toute la portée du prix libre quand deux personnes vivant dans la rue se sont présentées à l’événement que l’on organisait. D’un coup réchauffé et éclairé par cette simple présence. C’est ça, le prix libre ! L’égalité d’accès. Ces deux vieux compères restent à ce jour la source de mon discernement lorsqu’un prix libre est pratiqué. Je me pose toujours cette question : est-ce qu’ils pourraient y participer dignement ?